La croix des mariniers du Rhône est une sorte de crucifix sculpté en bois peint et orné des Arma Christi, illustrant chacun un épisode du cycle narratif de la Passion.
Une iconographie savante : le Cycle de la Passion
Le personnage pendu au bras de la croix et la bourse renversée au pied des deux lances évoquent la trahison de Judas et son suicide après avoir jeté les pièces d’argent du côté du sanctuaire (selon la version de Matthieu). A la gauche du Christ, le cimeterre est celui dont l’apôtre Pierre se sert pour couper l’oreille du Grand prêtre lors de l’arrestation du Christ au Jardin des Oliviers.
Au sommet de la croix se dresse le coq du Reniement de Pierre. Les outrages y sont figurés par les lanières suspendues au bout des bras de la croix renvoyant à la Flagellation et par le manteau de pourpre aux pieds du Christ dont il est revêtu par les soldats de Pilate (Dérision). L’épisode de la Crucifixion est situé par le crâne figurant au pied de la croix (Mont Golgotha signifie Mont du crâne en araméen). Les dés avec lesquels les soldats romains se jouent la tunique, de même que le marteau qui enfonce les clous, la perche avec l’éponge à vinaigre de Stephaton et la lance de Longin ; tous sont des symboles de cet épisode. Enfin, les tenailles, opposées au marteau, rappellent la Descente de Croix. La temporalité des événements est rendue par la personnification de la lune et du soleil au bout des bras de la Croix.
Ce type de représentation reposerait sur la légende de la messe de saint Grégoire, propagée au XVe siècle, selon laquelle, suite à ses prières, la vision du Christ entouré des instruments de la Passion serait apparue à l’assistance.
Les croix de mariniers rhodaniennes, un art populaire français
Cette croix a pu être identifiée comme une croix des mariniers du Rhône. Ces productions sont l’exemple d’un art populaire français typique de la région. En effet, pour se protéger face à l’impétuosité du Rhône, les mariniers disposaient de deux types de croix. Des croix d’équipages allant jusqu’à 2 mètres de haut, bénies par le prêtre avant le départ, étaient fixées à la proue de la première barque du patron lors des processions. Il y avait également des croix plus petites, comme celle-ci, que l’on appelle croix de cabine et qui demeuraient à l’intérieur.
Le culte de la croix dans le Rhône avait été promu par les frères mineurs récollets selon une mode déjà instaurée par le pape Clément XIV qui avait généré l’introduction des crucifix dans les maisons. On retrouve ainsi, au pied de cette croix, deux récollets dont l’un tient encore une croix rouge, sans doute emblème des mariniers.
La grande similitude observée entre les différentes croix de mariniers du Rhône conservées mène à penser qu’elles pourraient être issues d’une production quasi-standardisée dans des ateliers où les mariniers allaient se les procurer. La barque du marinier, dressée au sommet de la croix, était la seule touche personnalisée. Certaines portent encore le nom de la corporation, ce qui vaut parfois à ces objets d’être nommés « croix de confrérie ».
Un objet exceptionnel au sein des collections
La croix de cabine des mariniers du Rhône a été acquise en 1949 grâce au don de Monseigneur Robin à qui elle avait été offerte. Restaurée en 2017, elle est la seule croix de mariniers que possède le musée, bien qu’il conserve d’autres croix aux Arma Christi. Véritable évangile historié, cet objet constitue un excellent support pédagogique lors des visites guidées.
Bibliographie
« Visages de lumière, sculptures du Musée diocésain d’art religieux de Blois », Art sacré : cahiers de rencontre avec le patrimoine religieux, vol., n°17, 2002
SAUVAGE, Jean-Paul, « Une croix dite des mariniers », La Renaissance du Loir & Cher, 28 février 2014.
SESMAT, Sophie, Objets d’Hier, août 2022 [en ligne]
Conférence des évêques de France, Eglise catholique en France, août 2022 [en ligne]
Parole d’objets [podcast]. RCF Radio, 11 février 2018, 24 min (ci-dessous).